Maupassant se défendait d'être un écrivain naturaliste : " Je ne crois pas plus au naturalisme qu'au romantisme, écrivait-il en 1877. Ces mots à mon sens ne signifient rien et ne servent qu'à des querelles de tempéraments opposés ". Cependant, en attachant ainsi son nom à celui de Zola, dont L'Assommoir avait fait le champion de la nouvelle école, il s'intégrait lui aussi sous la bannière du naturalisme.
I La conception du roman selon Maupassant
Dans la préface de Pierre et Jean, Maupassant annonce :
" Le romancier, au contraire, qui prétend nous donner une image exacte de la vie, doit éviter avec soin tout enchaînement d'événements qui paraîtraient exceptionnels. Son but n'est pas de nous raconter une histoire, de nous amuser ou de nous attendrir, mais de nous forcer à penser, à comprendre, le sens caché des événements... c'est sa vision personnelle du monde qu'il cherche à nous communiquer en la reproduisant dans un livre. […] Au lieu de machiner une aventure et de la dérouler de façon à la rendre intéressante jusqu'au dénouement, il prendra son ou ses personnages à une certaine période de leur existence et les conduira, par des transitions naturelles jusqu'à la période suivante. Il montrera de cette façon, tantôt comment se développent les sentiments et les passions, comment on s'aime, comment on se hait, comment on se combat dans tous les milieux sociaux, comment luttent les intérêts bourgeois, les intérêts d'argent, les intérêts de famille, les intérêts politiques. S'il fait tenir dans 300 pages, dix ans d'une vie pour montrer qu'elle a été, au milieu de tous les êtres qui l'ont entourée, sa signification particulière et bien caractéristique, il devra savoir éliminer, parmi les menus événements innombrables et quotidiens, tous ceux qui lui sont inutiles, et mettre en lumière, d'une façon spéciale, tous ceux qui seraient passés inaperçus pour des observateurs peu clairvoyants, et qui donnent au livre sa potée, sa valeur d'ensemble ".
Dans Une Vie, les différentes étapes du parcours de Jeanne sont facilement repérables et la vision pessimiste du monde ainsi que la faillite de l'amour, caractéristiques de la pensée flaubertienne, sont omniprésents dans le roman : la fidélité conjugale n'existe pas, l'amour est un leurre et se résume au plaisir sensuel, la religion cautionne le vice et la violence, Paul est un enfant peu tendre avec sa mère, et les rêves ne se réalisent jamais. Maupassant informe alors le lecteur uniquement sur les éléments concernant Jeanne. Il n'aborde donc pas le contexte historique et politique de l'époque. De plus, Maupassant insiste sur l'inaction et l'immobilisme de Jeanne et il présente très précisément, au début du roman, les rêves de la jeune fille pour mieux démontrer le choc de la désillusion.
II Un naturalisme du désenchantement
Maupassant refuse le mensonge romantique : en jetant à la " maison du berger " où sa femme le trompe avec Julien, le comte de Fourville, dans Une vie, fait sombrer les idéaux de la poésie lyrique dans la prose banale de l'adultère. Mais cette rupture avec le romantisme ne va pas jusqu'au renoncement au romanesque, voulu par Zola. L'intrigue de Bel-Ami est montée de toutes pièces : il faut que Forestier meure pour que Duroy épouse Madeleine, mais il faut que le mariage n'ait pas été célébré à l'église pour que Georges Duroy épouse Suzanne Walter religieusement. On est loin de l'idéal expérimental de Zola.
Le naturalisme de Maupassant est en effet profondément différent de celui de Zola. C'est un naturalisme virulent visant au désenchantement du monde. Certes le romancier poursuit les petits nobles de provinces et les mondains d'une ironie mordant, il démontre la crapulerie des riches, démonte les rouages du capitalisme. Mais les déshérités, qui " forment en moyenne les deux tiers de la population ", n'apparaissent que fugitivement dans son œuvre : les pêcheurs misérables d'Une vie, les ouvriers qui habitent l'immeuble de Duroy, semblent appartenir au décor. Maupassant ne va pas au-delà d'une pitié sincère pour les pauvres.
A l'inverse de Zola, Maupassant ne croit pas que son entreprise de démystification puisse déboucher sur une réforme sociale ou morale. Pour Zola, en effet, le naturalisme est tout à la fois une esthétique, une philosophie et une enseignement positif : " La république sera naturaliste ou elle ne le sera pas ! ", en d'autres termes, observons les plaies pour faire apparaître la justice par la vérité. Rien de tel chez Maupassant : il n'attend rien d'autre que l'éternel retour de la souffrance. Selon Maupassant, " la seule réalité qui ne mente pas est la souffrance ". Ainsi, les rêves de Jeanne, les ambitions de Duroy, ne sont que des variantes du grand piège de la vie où tout le monde perd.
III Entre impressionnisme et expressionnisme
La nature offre pourtant à chacun les consolations de sa beauté fondamentale, délivrant celui qui s'en pénètre de toute volonté d'entreprise. Le peintre se contente d'en reproduire les vibrations sur la toile sans rien attendre en retour. On ne s'étonnera donc pas que la sensation immédiate, l'odeur des pommes ou la caresse de l'eau à fleur de peau apparaissent comme les seules joies authentiques : la mer et la campagne d'Une vie, les couchers de soleil.
Mais à cette esthétique de l'apaisement, une fantasmagorie expressionniste, souvent portée par le jeu des ombres et des reflets, apporte son contrepoint ironique ou inquiétant : le comte de Fourville devient un ogre à la lumière d'une torche dans Une vie. Puis l'être démesuré éleva les bras comme pour prendre les étoiles […], le prodigieux fantôme sembla courir le long du bois ". Les parents de Bel-Ami, quant à eux, sont grossis jusqu'à la caricature par celle d'une bougie et le reflet de Georges Duroy dans la glace, proclame inlassablement qu'il n'est qu'un mort en sursis.
Conclusion
Qu'ils soient réalistes, naturalistes, les romanciers du XIXème siècle, tels Zola ou Maupassant refusent toute forme d'idéalisme, tout récit qui serait dominé par l'imagination. Leur règle est l'observation minutieuse du réel ; leur but, essayer de rendre compte le plus fidèlement possible de la réalité observée.
Mais que l'on ne se leurre pas : roman et réalité restent définitivement antinomiques : le roman est une œuvre fictionnelle et logiquement différente de la réalité. Les romanciers suivent tous la même bannière : la réalité ; ils ont tous le même souci : s'écarter le moins possible de la réalité quotidienne, et ceci depuis que Balzac a écrit Le Père Goriot.