Situation :
Electre pousse Clytemnestre dans ces derniers retranchements afin de lui extorquer des aveux.
On note auparavant, une scène similaire dans laquelle, sur le mode parodique, Agathe révélait à son mari la président quelle le trompait avec Egisthe.
Il y a une parallèle entre les scènes qui développeront, sur le mode « vaudeville » le même thème de trahison. Electre de Giraudoux ne représente pas la tragédie, mais pratique le mélange des genres dont elle désacralise la tragédie. (Scènes parallèles : sc.6 et 8 de lActe II)
La fin de lActe II scène 8 témoigne dun revirement psychologique. Alors que Clytemnestre jusqu'à maintenant était sur la défensive et « plaidait » non coupable, refusait davouer, tout à coup, quasiment par défi, avoue avec jubilation le meurtre. Et cette jubilation nous intervient : Clytemnestre est-elle aussi noire, aussi coupable quElectre semble affirmer ?
La tirade de Clytemnestre (L.3216 à 3258), cette scène est un aveu et une plaidoirie dans laquelle elle explique le pourquoi de sa haine en faisant du portrait du père dElectre un portrait de macho méprisable. Le portrait va lui servir de se justifier.
PLAN :
I) 1er axe :
Clytemnestre avoue sa haine : portrait à charge dAgamemnon : plaidoyer. (accusation : Agamemnon, plaidoyer : Clytemnestre.)
Aveu implicite du crime quand « jai fait immoler le bélier [...] ». « Prendre le sceptre à pleine main » : prendre le pouvoir. --> aveu de la haine, aveu du crime.
Portrait à charge dAgamemnon : cest un vrai réquisitoire.
- Tout le discours de Clytemnestre est un caractère passionnel : jubilation de laveu. On se retient quand on ne lavoue pas. Celui qui avoue ne sarrête plus : caractéristique qui cest révéler dans le texte. (=libération). En avouant, on se retrouve, on avère à ca que lon est.
« Oui, [...] oui, [...] oui. » : anaphore qui vient scander, marquer le rythme.
« Je vais moffrir la joie » : expression même du cadeau quelle se fait.
- Autre aspect : flux : flots ininterrompu comme si Clytemnestre se libère : exutoire (permet dévacuer)
- Fréquences des phrases exclamatives, interrogatives, et du « pourquoi ». Tirade se termine sur une exclamation. Cette dernière phrase fait de laveu un défi, transformation de laveu en défi. Derrière laveu, il y a la culpabilité. Ici non : il y a agressivité.
Objet du réquisitoire : Agamemnon.
Dans cette projection, il existe en tant que présence obsessionnelle. Cette présence obsessionnelle est marquée :
--> Par une métonymie qui est méprisante. Agamemnon est réduit à une seule partie de son individu (« petit doigt »...). Cette métonymie rabaisse Agamemnon.
1 : le petit doigt : « pression de quatre doigt » : métonymie de labsence. Il prend une autre connotation : « il me faisait signe dapprocher, de cette main à petit doigt » : signe dérisoire, ridicule du pouvoir.
2 : Barbe, cheveux frisés : « toison ». Il ny a pu de différence entre les cheveux et la barbe. Clytemnestre assimile Agamemnon à une bête, elle le rabaisse à le statut animal. « Cette » : pronom démonstratif qui montre le dégoût. Assimilation entre le bélier quelle va sacrifier et Agamemnon : « jai fait immoler le bélier le plus bouclé, le plus indéfrisable ». Agamemnon pour elle est une bête, une brute.
--> par le lexique : superlatifs ironiques ou méprisants : « le roi des rois, quelle dérision ! » : le roi des rois est le titre officiel dAgamemnon, que Clytemnestre utilise pour le rabaisser : « le fat des fats » : fat = vaniteux ; « le crédule des crédules » : naïveté = roi pour la frime ; « le roi des rois na jamais été que ce petit doigt » : ensemble des superlatifs. « Roi des rois, la seule excuse de ce surnom est quil justifie la haine de la haine ». La puissance attire la haine. Il y a de la haine en raison de sa puissance. Pour Clytemnestre, la haine est fonction de la puissance. Agamemnon représente le roi des rois et cest tout ce quelle hait. La puissance dAgamemnon rapporte au sacrifice dIphigénie. Cest à partir de là que Clytemnestre hait son époux. Quand elle le tuera, se sera aussi bien lépoux que le roi. Double puissance : celui avec qui elle partage la couche, elle est sa femme par obligation : haine de femme. Haine aussi en tant que roi à cause du sacrifice dIphigénie.
--> champ lexical qualificatif et péjoratif :
fat ; vaniteux ; pompeux ; banal ; vide ; lamentable ; crédule ; indécis ; niais ; bégayant.
A côté, le roi des rois cest de lironie.
« fat », « vaniteux » : différent de vanité (se croire être) et orgueil (être et le crier fort : image). Clytemnestre en fait un roi de représentation.
« pompeux » : il voulait donner limage de la force.
Il nest pas fort : « banal » : médiocrité : « vide » et même « lamentable ». Il est handicapé : « petit doigt », « frisure », « bégaye ».
En bordure de la stupidité : « crédule », « indécis », « niais ».
Il est le roi à jouer le macho.
Cette charge terrible est proportionnel à la haine accumulé. Tout les mots de la haine : Clytemnestre sexprime avec des antiphrases : « ce père admirable » : ironie ; « folle » : hystérie de sa part ; « horreur » : référence à Iphigénie ; « dégoût » : de lembrasser.
Cette haine était symbolisé par laveu implicite du meurtre, par lévocation du sacrifice du bélier. De toute évidence, ce bélier est le substitut symbolique dAgamemnon dont il a les caractéristiques physique particulière. Ce bélier a deux signification symbolique :
- haine physique manifesté par Clytemnestre è homme tué
- le sceptre (symbole du pouvoir) haine du pouvoir è roi tué.
Clytemnestre le tue en tant quhomme et en tant que roi.
II) 2ème axe :
Ce discours constitue une véritable plaidoyer avec des circonstances atténuantes.
Montrons que la situation de Clytemnestre doit être apprécier à la fois en tant que femme et en tant quépouse. Clytemnestre dans son discours fait référence à une révolte féminine. Le meurtre dAgamemnon prend aussi laspect dune libération de la femme. Et donc peut se comprendre du fait de lesclavage ressentit par Clytemnestre en tant que femme.
Son discours nous conte léchec du mariage, échec du couple : femme / épouse. Echec également dans sa relation père / mère.
Echec du mariage :
* « Du jour où il est venu marracher à ma maison » : connotation du verbe ; violence, fort, contrainte, qui assimile le mariage à un enlèvement, à une prise de guerre quAgamemnon aurait fait ;Ce qui fait de la base de ce mariage, pas sentimental, mais par un rapport de force et ce depuis le début.
Le vice de fabrication de mariage est labsence damour. En conséquence on a le dégoût et la répulsion physique.
* « et quand il me tenait moi-même, je ne sentais sur mon dos que la pression de quatre doigts : jen étais folle. » : expression qui marque le rejet, la haine qui en découle est une haine incontrôlable. Un réaction de rejet quasi « épidermique».
* « Inutile la nuit de faux amours » : cet expression évoque que toute la relation entre Clytemnestre et Agamemnon est faussée. Elle est placée sous le signe du mensonge. Et donc il y aura toujours un décalage entre lapparence « officielle » (Clytemnestre épouse dAgamemnon) et la réalité.
On note que cette absence de communication, de transparence dans le couple est mis en évidence dune part avec lanaphore « Inutile » : « Inutile, leau du bain [...], inutile, la nuit de faux amour [...], inutile lorage de Delphes » : intimité évoquer par « inutile », ce qui marque labsence damour. Cette anaphore avec « inutile » est renforcée en parallèle avec « Pourquoi » qui est utilisé plusieurs fois : « Et il me faisait signe [...] Pourquoi ?... Et il me disait [...] Pourquoi ?... Et quand au réveil [...] Pourquoi ?... [...] ». A chaque fois « pourquoi » est en relation avec lapparente soumission de Clytemnestre. Ce « pourquoi » met en évidence le décalage entre lapparente amour et la réalité de la haine.
* « je le trompais [...] avec le bois de mon lit » : image du rêve dadultère : elle pourrait aimé jusquau bois de son lit plutôt quAgamemnon : manque damour.
* « je le savais vaniteux, vide aussi, banal, je lui disais quil était la modestie, létrangeté, aussi, la splendeur » : hypocrisie dans la communication, mis en évidence par lantithèse : « vaniteux, vide, banal » opposé à « modestie, étrangeté, splendeur».
« je lui jurais quil était un dieu » : mensonge.
Le couple Agamemnon, Clytemnestre semble subir la fatalité de labsence damour. Le meurtre dAgamemnon dans cette perspective semble un processus logique, normal.
Puisque le couple a été crée par un rapport de force, il y a absence de transparence, absence damour donc il y a haine.
La réalité du couple : absence damour que le temps a transformé en haine. Pour passer du manque damour à la haine, il faut un moment déclenchant. Ici ça a été le sacrifice dIphigénie, décidé par Agamemnon seul, il est arbitraire de la décision. Dans ces circonstances, Clytemnestre nexiste pas pour Agamemnon. Dautre part pour lui ce qui est prioritaire cest le pouvoir qui est hors toute considération sentimental et amoureuse.
* « Et quand dans laube il livra à la mort ta sur Iphigénie, horreur [...] ! » : ce mot « horreur » est particulièrement fort, il marque sans doute le passage du manque damour à la haine. Répulsion qui nest plus celle de lépouse contre le mari, mais celle de la mère contre le père, ou même celle dun humain contre une bête.
Agamemnon est responsable du manque damour, et aussi du manque dhumanité (quelquun qui nest pas véritablement humain). Clytemnestre était quelquun de chaire et de sang. Giraudoux réussit ici à dépasser le mythe :
Clytemnestre est un être individuel, qui en tuant se met à exister de façon que symboliquement elle devient la reine : « je me suis glissé vers minuit dans la salle du trône [...] pour prendre le sceptre à pleines mains ! ». En tuant Agamemnon, elle effectue le meurtre du pouvoir masculin, de lhomme macho.
Clytemnestre devient le porte-parole de la libération des femmes sur le pouvoir masculin.
Ce qui fait de lhumanité de Giraudoux, ce qui nous rend humain, cest que le sentiment de haine de Clytemnestre la considère comme un être humain, plus quun personnage. Elle est plus vraie, plus authentique.
Retourner à la page principale !
Merci Sylvia qui m'a envoyé cette
fiche...