DESDICHADO





Introduction

Les Chimères de Nerval sont un recueil de 12 sonnets d'inspiration romantique mais comptant déjà des traits symboliques (Expression lyrique des sentiments, goût des extrêmes ; Symbolisme : fin 19ème siècle, association de symboles) publié à la fin des nouvelles " Les Filles du Feu " dont il est le prolongement. Le poète est en effet toujours hanté par ses amours perdus, par les mythes et les légendes et par une interminable quête de lui-même à la recherche de la miséricorde.

Lecture

Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus ? ... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron ;
Modulant tout à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.

Gérard de Nerval, Les Chimères (1854)

Plan du texte

Le malheur
 {1er quatrain : l'affirmation du désespoir
 {2ème quatrain : le désir de miséricorde
Le pardon
 {1er tercet : l'interrogation sur l'identité
 {2ème tercet : la victoire sur le malheur

Annonce des axes

I - Un état caractérisé par le manque
a) manque de bonheur
b) manque d'amour
c) manque de vie
II - L'obsession du passé
a) les personnages du passé
b) les lieux du passé
c) les échos du passé
III - La quête d'une personnalité
a) un poète en rupture d'identité
b) la reconquête

Etude

I - Un état caractérisé par le manque

a) manque de bonheur

Champs lexical du malheur important (inconsolé, consolé, désolé) construit autour d'une racine latine : " solor " (=apporter un soulagement).
Présence bienfaitrice d'une personne sur qui il peut compter. Le mot mélancolie marque fortement le texte. Il rappelle le tableau de Dürer. Le titre signifie : " déshérité ". Il traduit en effet un manque. On passe de " lui " à " je " et " je " traduit le malheur.

b) manque d'amour

Le malheur du poète est d'être seul. L'actrice qu'il aimait est morte. C'est lui le " veuf ", celui qui a perdu son amour. Repris au vers 3 : allusions aux femmes qu'il a aimé. L'adjectif " seul " insiste sur le fait que sa vie est entièrement vide. Aux vers 2 et 3, la solitude ressort. Vers 5 : il est à l 'égal d'Orphée, il est en communication avec les morts. Vers 9 : ce sont des amants malheureux. " Biron " était un ami d'Henry 4. " Lusignan " est le vrai mari de Mélusine.
Ce sont quatre images de l'amour malheureux.

c) manque de vie

Références à la mort très importantes. On ne sait si le poète est sorti du monde des vivants : " j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron ". Il a gardé des contacts avec les morts. Nerval a perdu sa mère très jeune. Absence de couleur : " ténébreux, soleil noir... ". Sonorités très assourdies, nasales.


II - L'obsession du passé

a) les personnages du passé

Confusion entre les différentes époques. Nerval était fasciné par le passé et l'aristocratie. Confusion entre la mythologie, l'histoire et le moyen-âge : trois époques => confusion.
" j'ai deux fois vainqueur... " : il s'assimile complètement avec un héros de la mythologie. Il s'imagine que ce héros a existé. L'errance entre le passé et le présent se voit par les temps verbaux. Présent : " je suis ", le passé composé : " j'ai rêvé ". Il a du mal à se situer.

b) les lieux du passé

l.11, " la grotte " : espace indéfini, " sirène " et " Achéron " : lien avec la mythologie, " Pausilippe " : Virgin, un grand poète y sera enterré.
Assonances en " i " pour l'image du bonheur.

c) les échos du passé

" abolie, mélancolie " : rimes féminines ('e' à la fin). Tout le poème est battis sur des échos sonores. Echos => dédoublements permanents. Echo sur " sore " (" seul, soleil, désolé "). Echos intérieurs (" fleurs et cœur "), (" Pausilippe et Italie "). Jeu sur 'i' et 'r' (" soupir, lire, cri ").
Rythme ternaire des alexandrins :" Suis-|je A|mour| ou Phé|bus, Lusi|gnanou Bi|ron ? ".
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Multitude de voyelles à partir de la fin du texte => luminosité, retour vers plus de calme.


III - La quête d'une personnalité

a) un poète en rupture d'identité

" suis-je " (v.9) est différent de " je suis " (v.1).
Cela débouche sur le vide, absence d'identité. Description de sa perte d'identité : " tour abolie ". Au vers 9, multiplicité de références contradictoires dont le seul point commun est l'échec.
" nuit du tombeau, grotte " : lieux fermés.

b) la reconquête

Le poète se reprend. A partir du premier tercet, il va être l'élu de la reine. Allusion à la nouvelle des " Filles du Feu " en Adrienne au vers 10. Importance de la victoire, le luth constellé marqué de désespoir devient la lyre d'Orphée. Il croit en ses talents, espoir d'une vie éternelle. Opposition entre un jeu d'ombres et de lumières. Sonorités plus claires, rythme du poème très irrégulier.


Conclusion

Ce sonnet exprime une renaissance. L'auteur enfoncé dans son malheur et sa folie a perdu son identité. Petit à petit, il la reconquiert en retrouvant la lumière et le pardon.



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