TEXTE FINAL







(Livre IV – p. 243. « Ces longs détails (…) taire des vérités »)

Texte étudié :

  Ces longs détails de ma première jeunesse auront paru bien puérils et j'en suis fâché: quoique né homme à certains égards, j'ai été longtemps enfant, et je le suis encore à beaucoup d'autres. Je n'ai pas promis d'offrir au public un grand personnage: j'ai promis de me peindre tel que je suis; et pour me connaître dans mon âge avancé, il faut m'avoir bien connu dans ma jeunesse. Comme en général les objets font moins d'impression sur moi que leurs souvenirs, et que toutes mes idées sont en images, les premiers traits qui se sont gravés dans ma tête y sont demeurés, et ceux qui s'y sont empreints dans la suite se sont plutôt combinés avec eux qu'ils ne les ont effacés. Il y a une certaine succession d'affections et d'idées qui modifient celles qui les suivent, et qu'il faut connaître pour en bien juger. Je m'applique à bien développer partout les premières causes, pour faire sentir l'enchaînement des effets. Je voudrais pouvoir en quelque façon rendre mon âme transparente aux yeux du lecteur; et pour cela je cherche à la lui montrer sous tous les points de vue, à l'éclairer par tous les jours, à faire en sorte qu'il ne s'y passe pas un mouvement qu'il n'aperçoive, afin qu'il puisse juger par lui-même du principe qui les produit.

Si je me chargeais du résultat et que je lui disse: tel est mon caractère, il pourrait croire, sinon que je le trompe, au moins que je me trompe. Mais en lui détaillant avec simplicité tout ce qui m'est arrivé, tout ce que j'ai pensé, tout ce que j'ai senti, je ne puis l'induire en erreur, à moins que je ne le veuille; encore, même en le voulant, n'y parviendrais-je pas aisément de cette façon. C'est à lui d'assembler ces éléments, et de déterminer l'être qu'ils composent: le résultat doit être son ouvrage; et s'il se trompe alors, toute l'erreur sera de son fait. Or il ne suffit pas pour cette fin que mes récits soient fidèles, il faut aussi qu'ils soient exacts. Ce n'est pas à moi de juger de l'importance des faits; je les dois tous dire, et lui laisser le soin de choisir. C'est à quoi je me suis appliqué jusqu'ici de tout mon courage, et je ne me relâcherai pas dans la suite. Mais les souvenirs de l'âge moyen sont toujours moins vifs que ceux de la première jeunesse. J'ai commencé par tirer de ceux-ci le meilleur parti qu'il m'était possible. Si les autres me reviennent avec la même force, des lecteurs impatients s'ennuieront peut-être, mais moi je ne serai pas mécontent de mon travail. Je n'ai qu'une chose à craindre dans cette entreprise: ce n'est pas de trop dire ou de dire des mensonges, mais c'est de ne pas tout dire et de taire des vérités.


Explication de texte

Plan

I – Désignation des Confessions

II – Rôle du lecteur

III – Idée de faire l’unité de son personnage

Ce passage clôt le livre IV. Rousseau a désormais trouvé un emploi et gagne «pour la première fois (…) [son] pain avec honneur ». Ce texte comme le préambule est argumentatif. C’est un discours sur le projet autobiographique.

- but - à qui parle-t-il ? A Dieu ? aux lecteurs contemporains ? futurs ?

- tonalité r - pacte respecté

- rôle du lecteur - désignation des Confessions

I – Désignation des Confessions

Il poursuit le fait qu’il va se peindre : « Je n’ai pas promis au public un grand personnage » ; « j’ai promis de me peindre tel que je suis ». Le but du projet autobiographique qui était de dire «ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus »est repris ici par «tout ce qui m’est arrivé, tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai pensé, tout ce que j’ai senti ». Il affirme les mêmes objectifs qui sont de «[se] montrer tel qu’[il] fut ». Rousseau est d’accord avec sa promesse mais n’est pas sur d’avoir tout dit et craint «de taire des vérités ».

II – Rôle du lecteur

Dans le préambule, il refusait d’être en contact avec le lecteur, il était au-dessus d’eux. La présence des lecteurs est attendue lors du «jugement dernier » Le lecteur est ici nommément désigné : « public », «lecteur » (l. 6737), lui, l’, il, lui-même. Le lecteur est omniprésent dans ce passage. Il y a un souci du lecteur qui doit le juger. Ce jugement est d’ordre moral : "juger par lui-même du principe qui les produit » (l. 6741). Il faut connaître sa vie pour pouvoir « en bien juger ». Son jugement moral devient plus esthétique et veut faire comprendre ce qui lui est arrivé. La seule personne qui peut savoir qui il est, est le lecteur, mais après avoir rassemblé tous les éléments qui constituent rousseau. De plus, « le résultat doit être son ouvrage ». Le jugement du lecteur ne peut être totalement objectif du fait que c’est rousseau qui apporte les éléments.

III – Idée de faire l’unité de son personnage

On a dans le préambule, un caractère de tribunal, où il présente les faits dans un livre. Ici, il utilise un terme plus modeste : une entreprise. Rousseau voit son œuvre comme un ensemble de fragments. Il a l’idée de rassembler des éléments : Confessions.

Il y a une continuité entre l’enfant qu’il a été et l’adulte qu’il est aujourd’hui. C’est en trouvant sa source dans l’enfance que l’on peut comprendre aujourd’hui. Il affirme qu’il n’a pas changé qu’il est encore enfant.

Rousseau avait l’idée que se montrer lui, était montré un homme. Il montrait plus la singularité de l’homme et non pas lui dans sa totalité. Le projet est à la fin beaucoup plus modeste. Le ton solennel du préambule a disparu, tout comme Dieu. Le texte est ici argumentatif avec des conjonctions de coordinations : « mais, et, or ». Les verbes sont plus humbles : « cherche à lui montrer », « avoir en sorte que »…Il y a moins d’arrangements et un langage métaphorique : « la vie qui coule ». Le projet apparaît plus à l’état alors qu’il a écrit déjà 4 livres.


Conclusion

C’est après être vraiment entré dans le vif du sujet que Rousseau a pris conscience du projet. Ceci va le lancer pour la continuité de l’écriture de l’œuvre. Le caractère humain apparaît du fait qu’il n’est plus totalement maître de son entreprise. Il constitue l’origine de ce que sera l’être après à la manière de Freud 100 ans plus tard. Rousseau attire l’attention sur l’auteur et sur l’importance du lecteur qui doit découvrir le sens de son œuvre.


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Merci Céline qui m'a envoyé cette fiche...