Bacharach est une ville proche d’une falaise sur la rive droite du Rhin connue depuis l’Antiquité car l’écho s’y répète 7 fois. Loreley vient du moyen allemand lürelei (lüren : épier ; lei : rocher). Ce lieu est mélangé aux histoires fantastiques du Moyen Age. Apollinaire reprend la légende de cette femme qui séduisait les bateliers et leurs bateaux allaient se briser sur les rochers. Ce poème a été écrit en 1902 et publié en 1904 ; il est situé au milieu du cycle des Rhénanes. Ce poème est composé de 19 distiques qui abordent le thème de la puissance maléfique de l’amour qui conduit à la mort. Comment Apollinaire réutilise-t-il cette légende ? Comment par des jeux d’échos et de brouillage confère-t-il à ce thème une nouvelle profondeur ?
Lecture
Vers 1 : le poème commence par une indication de lieu, référence assez vague. Le poème commence comme un conte : « il y avait » renvoie à un temps passé. Il y a un oxymore à la fin du vers : « sorcière blonde » qui présente déjà la femme de manière négative. Comment une flemme blonde souvent associée à l’angélisme et à l’innocence peut elle être une sorcière ?
Vers 2 : l’expression « d’amour » est au centre du vers impair, ce qui permet d’insister sur le thème de la mort d’amour.
Vers 3-4 : les deux verbes au passé simple induisent des actions rapides qui traduisent l’effet foudroyant de sa beauté. Ces deux verbes d’actions successives sont renforcés par la paronomase (même son : « devant/ d’avance »). Ensuite, la préposition « à cause de » renforce le caractère inexorable de la séduction.
Vers 5-6 : l’amorce d’un dialogue (sans ponctuation) apparaît et il y a des procédés de répétition qui marquent un changement de ton c’est à dire l’expression de la souffrance de la Loreley. Peu à peu, une intensité dramatique se crée. Pour la première apostrophe « ô belle Loreley », l’évêque s’adresse à elle en temps que juge.
Dans le quatrième et le cinquième distique, la Loreley a la parole ainsi que dans le septième distique, tandis que l’évêque s’adresse à elle dans le sixième distique avec la deuxième apostrophe en temps que victime car la séduction a eu lieu.
Dans les vers 6 et 10, la sorcellerie est associée au feu. La Loreley elle aussi est victime de ce sort et de sa beauté. Le terme de feu revient deux fois dans le cinquième distique. La séduction est fatale pour les hommes et la Loreley.
Un autre élément entre en jeu : les yeux (thématique importante chez Apollinaire). Il y a une gradation au niveau du sens des yeux : pierreries (v.5) ; maudits (v.7) ; flammes (v.9). Cette progression montre l’ambivalence du regard de la Loreley.
Les yeux sont dans la seconde partie de l’hémistiche dans les troisièmes et quatrièmes distiques et en première partie dans cinquième distique. Le terme de flammes renvoie au feu de l’amour. Du distique 3 à 10, il y a un phénomène d’écho qui installe la souffrance au cœur même du poème : « flammes, je meure, mon cœur, Lore, Loreley, Rhin, mon amant ».
Tout au long du poème, on insiste sur le fait que la malédiction peut se retourner conter elle et que le malheur va se changer en folie.
A partir du distique 11, on revient à une focalisation externe, l’intensité dramatique retombe, on change de temps puisqu’on est dans le passé. D’autres personnages apparaissent avec les trois chevaliers décrits dans les détails : « avec leur lance, jusqu’au couvent, noir et blanc… »
Une sorte de menace commence à se faire sentir. Le poète appose le blanc symbole de purification (les vierges) au noir symbole de deuil (les veuves). C’est une opposition symbolique entre le lieu de la purification et celui de l’enchantement.
A partir du distique 16, l’atmosphère devient oppressante ; les chevaliers sont pris au charme de la Loreley. Les choses vont vites. On voit beaucoup le lexique de la folie et de la démence qui malgré tout est tenté d’être canalisée par les ordres de l’évêque.
Le thème des yeux revient (me mirer, vue, vu, yeux), il est associé à une explosion cosmique avec le mot astre rejeté à la fin du distique 13.
Le thème des fées et des sorcières est associé aux cheveux.
Ensuite, elle est prise au piège de son image comme Narcisse. La fin du poème est différente de celui de Brentano : il n’y a aucune condamnation morale, la mort est la seule issue et le seul apaisement à cet amour qui rend fou. Elle est en pleine hallucination, son nom va se décomposer (Lore). Il y a un phénomène d’écho sur son nom tout au long du poème.
Conclusion
Cette femme cumule toutes les obsessions et toutes les images féminines d’apollinaire : la femme qui est belle, dangereuse et malheureuse. Apollinaire insiste sur le pouvoir maléfique des yeux puisque c’est dans ses propres yeux qu’elle se noie.
Cette femme n’a aimé qu’elle même, terrorisée de son pouvoir qui se retourne contre elle. Ce poème exprime de la solitude de la femme trop belle.
Pour apollinaire, cette femme est LA FEMME ; elle est irréelle, paradoxale (car elle souffre de sa beauté) et car elle semble être le double du poète.
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