La Loreley

Apollinaire






Introduction

      Bacharach est une ville proche d’une falaise sur la rive droite du Rhin connue depuis l’Antiquité car l’écho s’y répète 7 fois. Loreley vient du moyen allemand lürelei (lüren : épier ; lei : rocher). Ce lieu est mélangé aux histoires fantastiques du Moyen Age. Apollinaire reprend la légende de cette femme qui séduisait les bateliers et leurs bateaux allaient se briser sur les rochers. Ce poème a été écrit en 1902 et publié en 1904 ; il est situé au milieu du cycle des Rhénanes. Ce poème est composé de 19 distiques qui abordent le thème de la puissance maléfique de l’amour qui conduit à la mort. Comment Apollinaire réutilise-t-il cette légende ? Comment par des jeux d’échos et de brouillage confère-t-il à ce thème une nouvelle profondeur ?

Lecture

La Loreley
                                                 à Jean sève

À Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde

Devant son tribunal l'évêque la fit citer
D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté

Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcelerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie

Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé

Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège

Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien

Mon coeur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j'en meure

Mon coeur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon coeur me fit si mal du jour où il s'en alla

L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu'au couvent cette femme en démence

Vat-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblant
Tu seras une nonne vétue de noir et blanc

Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatre
la Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château

Pour me mirer une fois encore dans le feuve
Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves

Là haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là bas sur le Rhin s'en vient une nacelle
Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle

Mon coeur devient si doux c'est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)


Annonce de l'étude linéaire

Etude

Vers 1 : le poème commence par une indication de lieu, référence assez vague. Le poème commence comme un conte : « il y avait » renvoie à un temps passé. Il y a un oxymore à la fin du vers : « sorcière blonde » qui présente déjà la femme de manière négative. Comment une flemme blonde souvent associée à l’angélisme et à l’innocence peut elle être une sorcière ?

Vers 2 : l’expression « d’amour » est au centre du vers impair, ce qui permet d’insister sur le thème de la mort d’amour.

Vers 3-4 : les deux verbes au passé simple induisent des actions rapides qui traduisent l’effet foudroyant de sa beauté. Ces deux verbes d’actions successives sont renforcés par la paronomase (même son : « devant/ d’avance »). Ensuite, la préposition « à cause de » renforce le caractère inexorable de la séduction.

Vers 5-6 : l’amorce d’un dialogue (sans ponctuation) apparaît et il y a des procédés de répétition qui marquent un changement de ton c’est à dire l’expression de la souffrance de la Loreley. Peu à peu, une intensité dramatique se crée. Pour la première apostrophe « ô belle Loreley », l’évêque s’adresse à elle en temps que juge.

Dans le quatrième et le cinquième distique, la Loreley a la parole ainsi que dans le septième distique, tandis que l’évêque s’adresse à elle dans le sixième distique avec la deuxième apostrophe en temps que victime car la séduction a eu lieu.

Dans les vers 6 et 10, la sorcellerie est associée au feu. La Loreley elle aussi est victime de ce sort et de sa beauté. Le terme de feu revient deux fois dans le cinquième distique. La séduction est fatale pour les hommes et la Loreley.
Un autre élément entre en jeu : les yeux (thématique importante chez Apollinaire). Il y a une gradation au niveau du sens des yeux : pierreries (v.5) ; maudits (v.7) ; flammes (v.9). Cette progression montre l’ambivalence du regard de la Loreley.
Les yeux sont dans la seconde partie de l’hémistiche dans les troisièmes et quatrièmes distiques et en première partie dans cinquième distique. Le terme de flammes renvoie au feu de l’amour. Du distique 3 à 10, il y a un phénomène d’écho qui installe la souffrance au cœur même du poème : « flammes, je meure, mon cœur, Lore, Loreley, Rhin, mon amant ».
Tout au long du poème, on insiste sur le fait que la malédiction peut se retourner conter elle et que le malheur va se changer en folie.

A partir du distique 11, on revient à une focalisation externe, l’intensité dramatique retombe, on change de temps puisqu’on est dans le passé. D’autres personnages apparaissent avec les trois chevaliers décrits dans les détails : « avec leur lance, jusqu’au couvent, noir et blanc… »
Une sorte de menace commence à se faire sentir. Le poète appose le blanc symbole de purification (les vierges) au noir symbole de deuil (les veuves). C’est une opposition symbolique entre le lieu de la purification et celui de l’enchantement.

A partir du distique 16, l’atmosphère devient oppressante ; les chevaliers sont pris au charme de la Loreley. Les choses vont vites. On voit beaucoup le lexique de la folie et de la démence qui malgré tout est tenté d’être canalisée par les ordres de l’évêque.
Le thème des yeux revient (me mirer, vue, vu, yeux), il est associé à une explosion cosmique avec le mot astre rejeté à la fin du distique 13.
Le thème des fées et des sorcières est associé aux cheveux.

Ensuite, elle est prise au piège de son image comme Narcisse. La fin du poème est différente de celui de Brentano : il n’y a aucune condamnation morale, la mort est la seule issue et le seul apaisement à cet amour qui rend fou. Elle est en pleine hallucination, son nom va se décomposer (Lore). Il y a un phénomène d’écho sur son nom tout au long du poème.


Conclusion

      Cette femme cumule toutes les obsessions et toutes les images féminines d’apollinaire : la femme qui est belle, dangereuse et malheureuse. Apollinaire insiste sur le pouvoir maléfique des yeux puisque c’est dans ses propres yeux qu’elle se noie.
      Cette femme n’a aimé qu’elle même, terrorisée de son pouvoir qui se retourne contre elle. Ce poème exprime de la solitude de la femme trop belle.
      Pour apollinaire, cette femme est LA FEMME ; elle est irréelle, paradoxale (car elle souffre de sa beauté) et car elle semble être le double du poète.




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