Sartre est né en 1905 et mort en 1980. Il a été le maître à penser de toute une génération (entre l'après-guerre et les années 70) . C'est un homme d'extrême gauche, il a été rédacteur en chef de La Cause du peuple, et il était athée. Il a été au début l'ami d'A. Camus, qui lui aussi était athée, mais qui allait plus loin et qui disait que le monde est absurde. Il a écrit 3 romans : L'Etranger, La Chute, La Peste.
Face à l'absurde, Camus a fini par trouver la réponse : la solidarité. Son journal : Combat. Camus est un homme du peuple. Sartre considère que l'on doit s'engager. S'engager, c'est mettre en gage sa réputation, son temps, son argent, sa liberté, sa vie…
Sartre a été professeur de philosophie. C'était un intellectuel, c'est-à-dire quelqu'un qui gagne sa vie avec les productions de son esprit, mais surtout celui qui ose prendre position, qui fait entendre sa voix. Il y a de moins en moins de véritables intellectuels en ce moment (sauf Bernard Henri Lévy). Sur le plan philosophique, il est l'inventeur de l'Existentialisme, qui part du principe que nous n'avons que notre existence, il n'y a pas d'essence. Sa grande idée c'est que " nous sommes la somme des actes que nous posons ", c'est-à-dire qu'aucun de nos actes ne peut être retranché. Tous ceux qui se cherchent des excuses sont pour lui des salauds. Le salaud sartrien, par exemple, c'est le chrétien qui va se confesser. Sartre pense que l'homme se construit en agissant. Il met au centre de tout la responsabilité (responsable : qui peut répondre de ses actes). Sartre jouait souvent le rôle du " méchant ", celui qui ne laisse rien passer, qui ne se laisse pas faire (ce n'est pas le sens habituel).
D'autre part, il a lutté toute sa vie contre le racisme, le colonialisme, la dictature, la guerre, la mauvaise foi. [existentialistes à Saint-Germain-des-Prés]. Actuellement, on assiste à une mort de l'idéologie. on dit souvent que Sartre est le dernier maître à penser. En 1964, Sartre publie Les Mots, qui est une courte autobiographie, qui renouvelle le genre (elle est beaucoup moins complaisante). Depuis Sartre on n'ose plus écrire des autobiographies comme Rousseau. Mais en même temps, ce texte qui est à la fin du livre est assez désespéré et désespérant. C'est l'année où il a refusé le prix Nobel de littérature. D'autant plus que c'est la dernière grande œuvre de Sartre, puisque après et jusqu'à sa mort il écrira des essais, fera de la politique. C'est un texte à valeur testamentaire.
Je ferai de ce texte une lecture méthodique qui s'articulera autour de 2 axes : le 1er s'intéressera au thème de la destruction, et le second s'intéressera à l'ironie sartrienne.
Analyse :
1. La destruction
a) Le motif de la démolition
On a tout d'abord le champ lexical de la destruction : " en miettes " l.9, " se délabre " et " en ruine " l.10. C'est un champ lexical très inquiétant puisque Sartre parle de lui. " L'édifice " désigne métaphoriquement ce qu'il a construit, ce qu'il a fait de sa vie. C'est donc très négatif. C'est assez désolant puisqu'il a été le maître à penser de toute une génération. C'est tellement négatif qu'on se demande même s'il n'est pas en train d'exagérer. Mais alors pourquoi ? On va essayer d'y répondre.
b) La destruction chimique
L'ironie consiste à feindre d'entrer dans le jeu de l'adversaire pour mieux le contrer. Ici Sartre pratique surtout l'autodérision.
1) La première cible de l'ironie sartrienne : c'est l'enfant.
A la ligne 5, " l'enfant merveilleux " est ici une antiphrase puisque dans le reste du livre il n'arrête pas d'ironiser sur l'enfant prétentieux qu'il était.
Ce qui est très réussi ici, c'est que " l'enfant merveilleux " est ironique mais également un peu nostalgique, émouvant. Il y a une ambiguïté dans tout le texte. L'enfant qu'il a été est surtout visé dans la longue métaphore des lignes 19 à 28, le thème du voyageur sans billet, qui est d'habitude un thème positif avec une notion de liberté, une sorte de refus des conventions, mais pourtant il est ici négatif. C'est une allusion directe à un épisode de son enfance, dans la partie Lire. L'enfant ici n'est pas valorisé comme il l'est d'habitude dans la littérature française. L'enfance est liée à l'excuse, ce qui est négatif. En effet, pour Sartre, en tant qu'existentialiste, l'homme est sans excuse. Ici c'est une métaphore complète car le contrôleur serait sa conscience, le compartiment sa réflexion. On a l'impression d'un dialogue impossible avec lui-même. L'enfant ne sort pas grandi de l'enfance ici [Sartre n'aimait ni l'enfant qu'il a été, ni les enfants]. C'est une image grinçante.
2) L'ironie prend aussi la forme de l'autodérision
Lorsqu'il affirme à la ligne 14 : " je mérite sûrement un prix de civisme " puisqu'il était souvent en contravention avec les lois de la République (il a participé à des manifestations interdites à l'époque de de Gaulle). L'ironie culmine surtout avec la ligne 11, elle s'exerce autour de la religion. Il s'attaque à une croyance fondamentale, à une base de la foi chrétienne. L'Esprit Saint est un principe supérieur qui relie et réunit le père et le fils.
Sartre a beaucoup déplu aux chrétiens. Ici, l'ironie prend la forme d'un humour un peu salace puisque le Saint-Esprit est réduit à une serveuse de bar qu'il pince pour la séduire. " les caves ", l.11, ajoutent un univers sordide. Le verbe " expulsé ", à la même ligne, transforme le Saint-Esprit en " squatteur " (en occupant illégitime). C'est vraiment quelque chose de trivial. D'autres mots font ironiquement allusion à la foi et à la religion : l.9 " martyre " [le fait d'avoir été tué pour sa foi] et " salut ", l.10 " immortalité ".
Il y a ici une ambiguïté (encore une !) puisque ces 3 mots qui font référence à la foi chrétienne peuvent avoir une autre signification :
Le " martyre " est peut-être une allusion à son statut d'écrivain maudit. Le " salut ", c'est peut-être le fait d'écrire, d'être lu, reconnu. L' " immortalité ", ce peut être celle que donne l'Académie, la gloire littéraire. On s'aperçoit donc que même lorsqu'il ironise sur la foi chrétienne il pratique l'autodérision (moment où il reçoit le prix Nobel). N'oublions pas que le livre d'appelle Les Mots.
Conclusion :
Tout d'abord, c'est une page qui demande un lecteur soupçonneux. Même le pessimisme peut apparaître comme une opération de séduction. C'est une sorte de texte piégé, qui se conteste lui-même mais en même temps célèbre le bonheur d'écrire. Heureusement, l'ironie fait sans cesse exploser tous les mots clinquants. On peut se demander si Les Mots sont une parodie d'un autobiographe ou une autobiographie parfaitement réussie. Pour aller plus loin, on peut même se demander si Les Mots en général, et ce texte en particulier, n'ont pas fini par réaliser l'ultime virtualité du genre littéraire. Sartre a inventé l'autobiographie du vitriol sans doute parce qu'il se méfiait de ses propres attendrissements. La parodie a une fonction d'ascèse (purification). Il n'empêche que l'on sort de ce texte avec une impression de malaise, de gâchis, d'une vie ratée. On dit souvent que les gens qui aiment Sartre n'aiment pas ce livre.
Merci à Mylène qui m'a envoyé cette fiche...